Peu de temps s’est écoulé depuis le soi-disant débat sur l’identité nationale, qui n’a guère suscité l’enthousiasme de Français écoeurés par la crise, bien qu’il eût nourri les articles de presse et les déclarations, toujours motivées par la sémantique et les micro-stratégies médiatiques, des figurants de la caste politicienne.
Que l’on torde la question dans quelque sens qu’on veuille, il semble inconvenant, sinon abusif, que l’Etat, mû par une soudaine urgence de clarté, s’arroge le pouvoir d’organiser, c’est-à-dire de diriger, de conditionner, une réflexion qui touche le destin de la Nation. Les deux ne sont pas assimilables, surtout en nos temps d’éparpillement universel. Sa prétention n’a eu pour effet que de faire sonner faux les discours qui l’ont nourrie. Cette dissonance est un aveu. Non que l’Etat en soi ne soit légitime pour traduire, à sa manière, qui est la durée, le propre du peuple dont il tente d’incarner la volonté, ni qu’il précise, avec la logique géométrique qui est la sienne, les aspirations profondes de la Nation, quand bien même cette dernière serait dans l’incapacité relative de les formuler dans leur historicité, mais de là à transformer un dialogue implicite, car charnel, en opération de marketing idéologique (l’objectif étant de faire avaliser la notion de France métissée), c’est ce qui rend ce prétendu débat superfétatoire et grotesque.
Ce type de promotion de mesures déjà décidées, qui s’appuie sur une pseudo concertation, sent trop le parfum falsifié de la com.. Depuis que la transparence et le dialogue sont devenus un mode de « gouvernance » contemporaine, on fait mine de s’imaginer, comme dans le secteur de la réclame, que le citoyen, qui est devenu un consommateur de concepts politiques, devient un acteur conscient, raisonnable, responsable, capable de réfléchir à moyen et long terme, et, in fine, susceptible d’accorder, à froid, son adhésion pleine et entière. Il fallait qu’une telle illusion, une telle perfidie, naquît dans une ère qui, croyant retrouver l’utopie communicationnelle d’Habermas et de l’école de Francfort, ne fait qu’occulter, par un bavardage inconséquent, bruyant et totalitaire, le vide collectif.
Car le véritable dialogue entre une Nation et son Etat ne peut être qu’action. Soulèvement, guerres, mouvements culturels, spirituels, créations, constructions, rêves et sacrifices, acceptations et refus, cathédrales de pierres ou de passions, défrichements, inventions, institutions, ouvrages divers d’un peuple qui suscite des formes en fonction de ses nécessités- qui lui sont destin- s’explicitent ou se décrètent seulement par des causes occasionnelles, par des choix humains dont la profondeur, parfois, tient plus du coup d’œil que de l’usage de la liberté (ou du caprice). Une société, une Nation, ne sont pas des plateaux de télévision ou des classes de collèges transformés en fora. Une identité ne s’invente pas, et encore moins si elle est la conjugaison aléatoire de narcissismes individuels ou collectifs. La totalité transcende les parties. Chaque fois que la masse s’enticha d’une idée, d’un homme, d’une aventure, en qui elle se reconnut, ce fut avec la force et la folie des paris de jeunesse. La rationalité n’entrait en rien dans leur grandeur. La vérité de la Révolution, par exemple, qui fut une secousse religieuse, se révèle aussi bien par l’énergie dévastatrice d’un Robespierre que par celle, plus constructive, de Napoléon. Et quoiqu’on invoquât la Raison, la passion déjà romantique et théâtralisée guidait les élans de haine et d’amour.
On ne commence vraiment à discuter qu’en temps de déclin, de dégénérescence. L’Athènes sophistique appelait la domination de Philippe. Un Etat qui a trahi depuis longtemps le peuple qu’il est censé protéger, notamment en encourageant une immigration de masse, qu’il lui enjoint d’accepter, et qui n’a désormais plus que le loisir de souiller le souvenir d’un passé glorieux, ne fait que produire une logorrhée, une chiasse verbale. Il est plus qu’improbable que ses membres quêtent du côté de nos grands fleuves, qui viennent de loin, au fil desquels se couchent, comme de belles dames maintenant défigurées par la vérole moderniste, nos antiques cités. Ils n’ont plus qu’à lorgner, comme des catins, vers la ville bandante, mais pas baisante pour un sou, celle qui tue la saveur du monde en prêchant sa morale d’épicier besogneux, et que Céline a croqué de façon si pathétique, si burlesque, dans le Voyage.
Il est temps alors de se regarder vraiment dans un miroir. Car si les Sarkozy, les Besson, ont réussi à s’emparer du timon, c’est que le navire va à vau l’eau. Le lierre ne s’attaque qu’aux arbres malades. L’énergie, les forces vitales font défaut à la Nation française, et plus largement à la patrie européenne. Dans tous les domaines, les capacités créatrices, qui ne vont pas sans dureté, ni un amour gigantesque, font défaut. Il semble inimaginable que notre époque donne ces titans qu’étaient Balzac, Stendhal, Delacroix, Berlioz, Baudelaire. Et encore le 19ème siècle était-il déjà miné par le cancer universaliste. Seule la postérité de Flaubert paraît possible, ce réalisme sarcastique doublé du mépris sain pour la médiocrité. Encore paraissons-nous avoir oublié la contrainte du style, comme tout autre devoir. Peut-être d’ailleurs, loin de la vulgarité médiatique, des talents mûrissent-ils pour dire notre décadence, la dernière lueur de notre longue Histoire qui, comme la brûlure glacée de l’agonie, accompagne la mort.
VoxNR.com
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