Le 6 décembre 2009, en obtenant 63% des suffrages, contre 27% à son principal adversaire, Evo Morales a facilement été réélu président de l'État bolivien. Les journalistes qui ont rendu compte de ce succès n’ont pas manqué de rappeler, pour s’en féliciter ou s’en inquiéter, que notre homme était « de gauche », voire « de gauche extrême ». D’ailleurs, preuve de son engagement progressiste, n’était-il pas soutenu, au Parlement et dans la rue, par le parti qu’il a dirigé jusqu’en 2005, date de sa première élection au poste suprême, le Movimiento al socialismo ? Ce n’est qu’en consultant la presse latino-américaine que l’on pouvait trouver des articles osant rappeler que ce parti s’est longtemps appelé le Movimiento al socialismo-unzaguista et que son « socialisme » n’avait que très peu de points en commun avec celui de la gauche occidentale.
Unzaguista ? Il est bien évident qu’un tel adjectif ne peut pas évoquer grand chose chez les journalistes occidentaux dont la connaissance de l’histoire de l’Amérique latine est faible voire nulle. Si leur culture dépassait les habituels clichés sur Che Guevara, la révolution cubaine et le sous-commandant Marcos, ils sauraient, qu’en Bolivie, on définit comme « unzaguistes » les disciples de Oscar Únzaga de la Vega (1916-1959) qui, en 1937, fonda la Falange socialista boliviana, à l’imitation de la Falange Española de las JONS de José Antonio Primo de Rivera...
Dans les années 1930, en Amérique latine, une importante fraction de la jeunesse étudiante avait les yeux braqués sur l’Europe et s’enthousiasmait pour les diverses expressions qu’y adoptaient le nationalisme autoritaire et la résistance au bolchevisme. Ainsi vit-on naître sur le continent sud-américain des expériences de fascisme autochtone qui prirent des aspects différents selon les pays : il y eut le nacisme au Chili, l’intégralisme au Brésil, le synarchisme au Mexique, le sancherisme au Pérou, l’unzaguisme en Bolivie, etc.. À la différence de l’Europe, ces mouvements et leurs dirigeants ne connurent aucune répression en 1945 et ils ne furent nullement exclu de la vie politique. Il y en eut alors qui se modérèrent et se fondirent dans les partis de la droite traditionnels, certains disparurent, d’autre comme la Falange socialista boliviana continuèrent leur combat comme si rien ne s’était passé.
Lors de sa fondation en août 1937, la Phalange socialiste bolivienne se proclama anti-marxiste et anticapitaliste, déclara que son idéologie pouvait se résumer en trois mots « Dieu, patrie et foyer » et qu’elle voulait instaurer un « État nouveau », adopta le salut le bras tendu et se dota de sections d’assaut... Durant la deuxième guerre mondiale elle milita en faveur de la neutralité, ce qui signifiait, vu le positionnement géopolitique de l’Amérique latine d’alors, qu’elle luttait contre tout soutien accordé aux Alliés…
Cependant, la FSB, inconstestablement inspirée par les fascismes européens, n’en était pas uniquement un clone et Oscar Únzaga de la Vega prit en compte, ce qui fut la cause de son audience et de la longevité de son mouvement, les spécificité boliviennes. La principale de celles-ci est la composition ethnique du pays, peuplé très majoritairement de descendants d’indiens Quechua et Aymara, et de métis, tandis que les Boliviens de souche européenne représentent moins de 15% de la population. Le nationalisme de la FSB fut donc un indigénisme. Oscar Únzaga de la Vega prit ainsi soin d’écrire la première biographie de Tupaj Katari, un chef indigène qui dirigea, en 1780, une importante révolte des tribus indiennes contre la colonisation espagnoles et il en fit la figure de référence du nationalisme bolivien. De plus la Phalange milita pour une réforme agraire qui rendrait la terre aux indiens et s’opposa aux grandes sociétés minières qui exploitaient durement un prolétariat entièrement composé d’indigènes. La conséquence de cela fut qu’aux élections législatives de 1947, la Phalange socialiste bolivienne obtint un nombre très conséquent de députés et qu’à la présidentielle de 1951 son candidat arriva en troisième position.
En 1952, un coup d’État porta au pouvoir Víctor Paz Estenssoro, le dirigeant du Movimiento nacionalista revolucionario qui proposa à la FSB de l’associer au pouvoir en lui confiant un nombre non négligeable de postes ministériels. La réponse d’Oscar Únzaga de la Vega fut sans appel : jamais la Phalange ne collaborerait avec un gouvernement qu’il considérait comme « infiltré par les communistes et les trotskistes »… Tout au contraire, Únzaga choisit l’affrontement. La FSB critiqua l’influence grandissante, tant politique qu’économique, des USA dans les affaires intérieures boliviennes, accusant le gouvernement d’être sous la coupe directe des ambassadeurs américains à La Paz malgré sa rhétorique de gauche. Elle dénonça aussi la réforme agraire qui en divisant les terres avait créée une masse de petits paysans pauvres, alors que pour la Phalange la solution passait par le retour à une culture collective des sols par les communautés rurales. Le 19 avril 1959, pensant son heure était venue, la Falange socialista boliviana tenta de prendre le pouvoir par les armes. L’affaire échoua et Únzaga de la Vega fut tué lors des combats. Il s’en suivit, une longue période de répression contre les militants phalangistes dont certains créèrent des groupes de guérilla dans les zones les plus montagneuses du pays.
En 1964, ces groupes armés participèrent au coup d’État qui donné le pouvoir au général René Barrientos. La Phalange ne fut pas directement intégré alors au pouvoir, mais son influence sur le gouvernement fut grande. En 1971, elle fut de nouveau parti prenante dans le coup d’État militaire du général nationaliste, souvent dénoncé comme « fasciste », Hugo Banzer. La condordance de pensée entre celui-ci et les éléments les plus modérés et les plus droitistes de la FSB fit qu’une partie de ses cadres et militants passa avec armes et bagages à l’Action démocratique nationaliste, un parti de droite nationaliste que fonda le général en 1978. Ceux qui restèrent fidèles à Oscar Únzaga de la Vega se partagèrent entre une fraction orhodoxe et une aile gauche qui fit scission en 1987 pour fonder le Movimiento al Socialismo-unzaguista qui changea son nom en Movimiento al Socialismo dix ans plus tard et qui vit alors accéder à sa direction un certain Evo Morales.
Dans les références et la doctrine de celui-ci, il n’est pas difficile de retrouver de multiples traces d’unzaguisme, que ce soit son nationalisme indigéniste, sa défense du monde paysan, son hostilité aux Etats-Unis, sa référence à Tupaj Katari, etc.
Alors de gauche Evo Morales ? Peut-être… Mais en tous les cas d’une gauche bien particulière et aux racines bien étranges, très différente de celle que l’on connaît en Occident !
VoxNR.com
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