Trois textes acceptés en trois ans: un record. Les initiatives sont devenues l’arme de la droite dure, après avoir longtemps été surtout celle de la gauche
C’est un record. Sur la décennie, la tendance se confirme: un tiers des dix-huit initiatives acceptées en plus d’un siècle, soit six, l’ont été entre 2000 et 2010, et plus de la moitié – onze – à partir des années 80. L’année charnière se situe en 1982 exactement, quand les Suisses ont approuvé l’initiative des consommatrices sur la surveillance des prix. C’était alors la première fois depuis 1949 et le scrutin sur le «retour à la démocratie directe» que les Suisses se laissaient séduire par une initiative. L’époque des Trente Glorieuses et du plein emploi ne les y prédisposait pas.Les initiatives populaires séduisent de plus en plus les Suisses. L’initiative de l’UDC sur le renvoi des délinquants étrangers, approuvée le 28 novembre, est la troisième à l’être en trois ans, après l’imprescriptibilité des actes de pédophilie en 2008 et, plus lourd de signification, l’interdiction de la construction de minarets en 2009.
Les temps ont changé. A double titre: les Suisses disent plus souvent «oui», mais les initiatives qui leur sont soumises sont aussi plus nombreuses. Avant 1970, elles sont moins de dix par décennie, à l’exception des années 20. Au cours des années 70, on compte déjà 22 initiatives ayant fait l’objet d’une votation, 29 dans la décennie suivante, 34 entre 1991 et 2000, et autant ces dix dernières années.
Le nombre de référendums sur lesquels les Suisses doivent se prononcer est aussi en hausse. «Une inflation qui date des années 70 pour les votations en général et des années 80 pour les initiatives en particulier», souligne Lionel Marquis, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d’études politiques et internationales de l’Université de Lausanne.
Mais les chiffres n’expliquent pas tout. «Jusque dans les années 80, l’initiative était essentiellement une arme de la gauche pour inscrire des thèmes à l’agenda, analyse Lionel Marquis. Depuis une quinzaine d’années, l’UDC s’y est mise aussi.» Résultat: dans un pays qui reste ancré à droite, les chances de faire triompher une initiative émanant de ce camp-là sont proportionnellement plus grandes. Mais la nouvelle donne découlant des succès de l’UDC a un prix. Elle «met en cause le modèle suisse de concertation en court-circuitant la voie parlementaire», dit le chercheur.
Les thèmes des initiatives acceptées par le peuple et les cantons traduisent ces changements. Ainsi, dès les années 80, les Suisses se montrent réceptifs aux questions environnementales. Ils votent pour la protection des marais (et surtout contre une place d’armes), pour un moratoire sur les centrales nucléaires, contre les poids lourds à travers les Alpes, contre les OGM.
Aujourd’hui, le registre est totalement différent. Les trois initiatives acceptées ces dernières années avaient trait à la criminalité et à l’immigration (pour les minarets, à l’altérité). Les délinquants, les étrangers, l’autre: ce sont les thèmes sur lesquels l’UDC fait campagne en permanence, rappelle Lionel Marquis. L’affiche montrant des moutons noirs a ainsi pu être utilisée pour les élections fédérales de 2007 – au moment où l’initiative sur le renvoi était lancée – et pour la votation du 28 novembre.
Mais l’UDC a aussi perdu à de nombreuses reprises, même sur ses terrains de prédilection. La naturalisation par les urnes, l’interdiction de la «propagande gouvernementale», la lutte contre les abus dans l’asile: autant d’initiatives lancées ou soutenues par l’UDC et qui ont échoué. Le parti national-conservateur n’a pas eu plus de succès avec les référendums lancés contre la libre circulation des personnes avec l’UE ou les accords de Schengen.
L’UDC est donc loin d’être invincible dans les urnes, mais elle a acquis la réputation de l’être dès qu’elle s’empare de thèmes qui se prêtent à un argumentaire plus émotionnel que froidement logique. Les succès enregistrés par l’UDC sur des initiatives populaires pourraient «créer un appel d’air», prévoit Lionel Marquis. Le parti «va continuer».
En effet. Il a lancé au début de cette année son initiative pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple. L’initiative de l’ASIN (Action pour une Suisse indépendante et neutre, liée à l’UDC) en faveur d’une extension du référendum sur les traités internationaux est quant à elle déjà devant les Chambres, qui examinent un éventuel contre-projet direct. Le peuple contre le droit international et les juristes technocrates: pour les adversaires de l’UDC, la pente sera dure à remonter.
Le Temps
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire