jeudi 10 février 2011

Quand le Département d’État rebat ses cartes dans le Nord de l’Afrique

Il est difficile d’avoir une vision précise de ce qui s’est passé hier en Tunisie et de ce qui se passe aujourd’hui en Égypte tant les « écrans font écran »… Que connaît-on en effet de la réalité de la situation ? Rien sinon ce que nous en livrent les TV, les quotidiens et les agences de presse du Grand Occident, c’est à dire un unanimisme pro-révolutionnaire et l’affirmation, répétée en boucle, que ce que veulent les masses de Tunis ou du Caire c’est uniquement un plus grand respect des droits de l’homme et plus de démocratie à l’occidentale.

Or, il semble bien que des émeutes de la faim, motivées par des prix alimentaires ignominieusement hauts du fait de la spéculation boursière, aient été l’occasion pour les stratèges de Washington - qui les préparaient depuis plusieurs années - de déclencher en Tunisie, puis en Égypte, des révolution de la fin … des équipes dirigeantes en place.

En juin 2009, dans son discours du Caire, Barack Obama avait appelé à un « nouveau départ fondé sur l'intérêt commun et le respect mutuel » entre les États-Unis et le monde musulman avec comme objectif de renforcer son contrôle sur celui-ci afin d’empêcher qu’il ne puisse pencher, à un moment ou à un autre, du côté de Pékin ou de Moscou. Jusqu’à aujourd’hui, on avait vu la mise en place progressive de ce projet principalement dans la modification des rapports que Washington entretient avec Tel-Aviv

Les événements de Tunisie et d’Égypte peuvent apparaître comme une seconde phase de ce plan : le changement de nomenklatura locales vieillies et peu sûres. Dans les deux cas des équipes de remplacement étaient en attente et il n’y avait qu’à les désigner aux médias pour que ceux-ci nous les présentent comme le choix des masses populaires… L’intégration dans la sphère gouvernementale, d’une manière ou d’une autre, comme participants ou comme opposition respectueuse, des islamistes locaux dont les dirigeants, totalement erdoganisés, rentrent d’un exil qu’ils ont passé à Londres et non pas à Téhéran, confirme ce que nous savions depuis longtemps : l’islamisme sunnite est parfaitement compatible avec la vue du monde géopolitique des stratèges yankees.

Ainsi, la « révolution du jasmin » et celle de la place Tahrir peuvent elles, au final, être vues comme rien d’autre que des versions nord-africaines des « révolutions colorées » à l’œuvre, précédemment, dans nombre de pays de l’ex-bloc de l’Est.

La Chine et la Russie ne s’y trompent d’ailleurs pas. Le quotidien chinois de langue anglaise The Global Times, rendant compte des événements du Caire, a insisté sur le fait que « les révolutions de couleur n’accouchent jamais de réelles démocraties » et le président russe Dimitri Medvedev n’a pas caché qu’il a eu un long entretien téléphonique avec Hosni Moubarak dans lequel il l’a assuré qu’il s’élevait contre les ingérences étrangères auxquelles il était en butte. Position répercutée à l’ONU par l’ambassadeur de la Fédération de Russie qui s’est publiquement inquiété des déclarations de Ban Ki-Moon, favorables à un changement rapide de régime en Égypte.

Quant à la France et à l’Europe, qui n’ont eu de cesse de réclamer plus de démocratie à Tunis et une transition plus rapide au Caire, elles apparaissent comme les véritables dindons de la farce, sans influence politique aucune sur ce qui se déroule à leur porte et incapables de concevoir dans l’urgence une politique cohérente de remplacement.


Christian Bouchet

Source:
http://www.voxnr.com/cc/a_la_une/EkAZpypyFyWrDDYpRq.shtml

Aucun commentaire: