lundi 3 janvier 2011

Pourquoi la Suisse doit rester à l’écart de l’Union européenne

Dieter Freiburghaus écrit dans la dernière édition des « Schweizer Monatshefte » que le fait que la Suisse reste à l’écart de l’UE s’est transformé, suite aux Accords bilatéraux et à l’adoption du droit européen, en une adhésion de fait sans droit de vote. Il considère qu’au fond ce n’est pas si grave, puisque « l’UE n’est pas un Etat, n’a pas le monopole des pouvoirs, pas de poli tique étrangère et de sécurité commune, pas de système de protection sociale et que son budget est relativement limité ». L’UE a avant tout pour but de créer un marché efficace pour les marchandises, les services, les capitaux et le travail et de protéger ce marché intérieur contre « des entraves non tarifaires au commerce » au moyen de régulations centralistes.
C’est cependant justement avec de telles réglementations centralistes qu’un monopole des pouvoirs a été développé. Tout à fait dans l’esprit de Jean Monnet, un des fondateurs de la Communauté européenne, on a, à la fin des années 50, délégué à l’UE supranationale la compétence de légiférer et de développer une politique commune dans tous les domaines de vie. Concrètement, ce sont les politiques étrangères, de sécurité et de paix, les actions humanitaires et militaires communes («Eurocorps») de même que les mesures financières pour l’euro. Aujourd’hui, tout cela est inscrit dans le Traité de Lisbonne et se traduit par des institutions spécifiques: Conseil européen, Commission européenne, Parlement européen et tribunaux.
Examinons de plus près le fonctionnement de l’UE. Jacques Delors, président de la Commission européenne pendant de longues années, avait signalé qu’une augmentation rapide des membres de l’UE nécessiterait davantage de cohérence dans les normes européennes et les institutions interétatiques. Seul un noyau décisionnel fort pouvait permettre l’évolution rapide de l’UE en direction d’une fédération européenne.
Dans cet esprit, le Traité de Lisbonne, maintenant ratifié, prévoit dans tous les domaines relevant de l’Etat qui ne ressortissent pas à l’économie, de prendre dès 2014 les décisions de transfert de compétences à la communauté à la majorité qualifiée. Concrètement, cela signifie que les négociations durant des nuits et la recherche de l’unanimité appartiennent au passé. Cela, ajouté à la nouvelle pondération des voix, permettra au noyau dur des membres importants de l’UE, mené par le tandem Merkel/Sarkozy, d’élargir l’UE.
Les nombres de voix nécessaires sont précisés dans le Traité de Lisbonne. Les 6 grands pays – Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie, Espagne et Pologne – ont droit à 29 et 27 voix chacun, ce qui fait au total 270 voix. Pour les autres pays il est prévu au maximum 14 voix (Roumanie), 13 pour les Pays-Bas puis de moins en moins jusqu’à 3 pour Malte: au total 175 voix. En ce qui concerne la majorité qualifiée, les 255 voix sont plus facilement atteintes par le groupe des grands pays que par une majorité de petits. A ce tarif, la Suisse arriverait dans le meilleur des cas à 10 voix dans le groupe Autriche/Suède, mais plutôt à 7 voix dans le groupe Danemark/Finlande. Donc nous n’aurions pratiquement rien à dire.
Ce règlement, qui entrera en vigueur en 2014, rappelle la thèse d’une Europe à plusieurs vitesses. Ainsi, un petit noyau va prendre les décisions déterminantes dans l’Europe future. Tous les autres pays de l’UE devront être persuadés ou au besoin obligés de suivre. Le fonctionnement de ce mécanisme, nous avons pu l’observer en Suisse lors de la reprise «autonome» d’une grande partie du droit de l’UE en tant que Swisslex ainsi que plus ou moins dans les solutions adoptées pour le trafic terrestre et la libre circulation des personnes dans les Accords bilatéraux. Les prochains projets sont déjà en route : l’abolition du secret bancaire et l’harmonisation fiscale dans toute l’Europe.
Ainsi le nombre de voix des petits pays membres jugé souhaitable par de nombreux Suisse est devenu une non-valeur. Aussi la Suisse fait bien de rester à l’écart et de tirer parti de ce qui reste de la treaty-making-power pour se défaire de la dépendance par rapport au marché européen grâce à un ensemble étendu de traités avec des Etats tiers. Cette voie présente sans doute des risques et exige un surcroît de travail. Mais elle nous permet au besoin de dénoncer les Accords bilatéraux et surtout Schengen. Cette option garantit l’indépendance dont nous aurons besoin à l’avenir. •
Frédéric Walthard
Mecanopolis

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