lundi 14 mars 2011

Nucléaire !: la politique du balai

Tout le monde se souvient du conte de Goethe, l’apprenti-sorcier, dans lequel un balai conquiert son autonomie et devient quasiment fou («Un jeune apprenti sorcier tente d'animer un balai pour que l'objet effectue son travail, c'est-à-dire remplir une bassine d'eau en prenant des seaux et en les vidant, tout un trajet à parcourir, que son maître, parti faire une course, lui a assignée. [...] Le balai s'arrête sur le moment, mais [...] l'apprenti, qui avait déjà du mal à contrôler un balai, doit maintenant faire face à des centaines de balais. L'eau déborde et inonde la demeure du magicien, qui devient une piscine géante. Ce dernier arrive enfin et répare les dégâts provoqués par l'apprenti …» in Wikipédia) . Cette fable a été reprise par Paul Dukas et Walt Disney. Nous avons en quelque sorte ici l’apologue désignant les difficultés suscitées par l’emploi du nucléaire.
Dans un communiqué du 13 février, paru dans Nations Press info, Laurent Ozon rappelle, à juste raison, les inquiétudes que suscitent les événements dramatiques qui mettent gravement en cause la sécurité nucléaire nippone. Ce malaise dépasse largement les états d’âme des « Cassandre anti-nucléaires  plus souvent motivés par le maintien d’intérêts pro-pétrole ».
J’ignore si les contestataires qui critiquent ce type de production énergétique sont animés par ce motif aussi pitoyable, ce dont je doute fortement. En revanche, je sais que le groupe AREVA constitue une puissance considérable, un Etat dans l’Etat, et se présente comme un groupe de pression redoutable. La gestion de l’information en matière nucléaire est, de notoriété publique, assez déficiente, voire carrément mensongère, comme l’ont montré les suites de l’accident de Tchernobyl. Pour le dire crument, le système mis en place pour assurer l’alimentation du pays en électricité ressemble beaucoup au complexe militaro-industriel, avec des ramifications policières (espionnage, contrôle des données, information tronquée, déformée ou occultée) économiques et politiques.
Le mode de production énergétique qu’induit le choix du nucléaire inquiète à juste raison, ne serait-ce que parce qu’il faut se débarrasser de déchets très encombrants, défi quasi impossible à relever en regard de la longévité de la radioactivité, des incertitudes, notamment géologiques, de l’avenir, et de l’imprévisibilité d’un dispositif qui ne date que d’un demi-siècle.
L’énormité du système, ses implications civilisationnelles (émergence d’une puissance contrôlant indirectement la société), les dangers écologiques induits, tout cela rappelle ce qu’est notre époque prométhéenne et faustienne. La techno-science arraisonne la nature, considérée dans une finalité productiviste. Au lieu de se demander si ce n’est pas une folie que d’aller toujours plus avant, de fouailler le cœur du monde pour l’utiliser à des besoins toujours plus nocifs (qu’a-t-on à faire de la moitié de notre consommation !), pour des raisons aussi qui sont liées à la puissance en soi, il vaudrait mieux s’interroger sur ce qu’est la vie, le bien vivre, une société viable et équilibrée.
Il me semble que l’énergie nucléaire est l’emblème de cette civilisation qui a entrepris, vainement et follement, de se rendre maîtresse de la nature, donc en définitive, de l’homme-même, dans son essence. En percevant positivement l’instrumentalisation hyperbolique, voire démoniaque, de la nature, on se donne la permission d’attenter à ce qui subsiste d’authentique (qu’on ne me dise pas que tout est artifice ! C’est l’argument constructiviste par excellence). La technique change la chose, qui devient objet, ainsi que le regard, qui devient technicien. Il n’y a rien de poétique dans la démarche d’un ingénieur, rien de créatif : il ruse, trompe la nature, mais pour mieux en vider le sens.
Si le Front national est un parti de gouvernement, il lui faut le montrer. Dont acte. Cependant, la politique demande une prise de risque, une interrogation sur le long terme, un projet de civilisation, un questionnement de fond sur ce qu’est la finalité du politique, d’une société, et des rapports avec un environnement, qui est de plus en plus son sujet central. Il serait ridicule de le laisser aux bobos et aux gauchistes. Il concerne tout le monde, et demain, sera un vecteur de choix radical.
Claude Bourrinet pour le Cercle futur

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