lundi 19 avril 2010

« Replacer nos valeurs dans un contexte actuel, plus réel, plus parlant… » (entretien avec Érik Robert)


Le Lien : Érik, pourrais-tu d’abord te présenter aux lecteurs du Lien ?
Érik Robert : L’exercice est toujours difficile ! Disons, pour faire court et aller à l’essentiel, qu’après des études de Lettres et d’Histoire et quelques années d’aventures à l’étranger, je suis revenu sur la terre de mes ancêtres pour me consacrer pleinement à ma passion principale, l’écriture. Actuellement, mon deuxième roman est sous presse [N.D.L.R. : il s'agit du Chasseur de chimères, qui vient de paraître], et j’exerce pour vivre le métier de journaliste.
L.L. : Tu viens de faire paraître au Crève-Tabous Le Faiseur de royaumes dont Le Lien s’est fait largement l’écho dans son précédent numéro. Qu’est-ce qui t’as poussé à écrire un roman ?
É.R. : Nos milieux – je ne sais comment définir exactement cette nébuleuse ! – n’ont jamais, à mon avis, accordé autrement qu’en théorie la place que devrait tenir, chez nous plus encore qu’ailleurs, l’imaginaire. Je sais bien que l’on ne peut pas tout faire ! J’estime cependant qu’évoquer l’imagination n’est pas la faire travailler, et qu’un article ou un essai ne peuvent remplacer un poème ou un roman. S’il y a le langage de la tête, il y a aussi celui du cœur, et des tripes !… C’est vrai qu’en matière littéraire, on peut renvoyer les têtes blondes de tous âges vers des livres déjà écrits : la Chanson de Roland ne vieillit pas, Les Deux Étendards sont toujours capables d’émouvoir les jeunes de vingt ans. Mais un peuple vivant est un peuple qui avance, et il n’est pas très sain de chercher l’horizon derrière soi. Bien sûr que Turold et Rebatet sont nécessaires ! Mais pas plus que les poètes et les romanciers d’aujourd’hui, auxquels incombe la rude tâche de replacer nos valeurs dans un contexte actuel, plus réel, plus parlant…
L.L. : Parlons de ton roman. Il n’est pas anodin que le héros du roman, Manfred de Roubeyre, soit le fils d’un aristocrate français et d’une scientifique allemande. Par ses aïeux, Manfred n’est-il pas l’archétype de l’Européen ?
É.R. : Non, il n’y a pas de hasard : j’ai moi-même des ancêtres normands, allemands, anglais et provençaux, et parmi eux des nobles et des cochers, des paysans et des capitaines d’industrie !… Manfred, par sa mère et par son père, est le fruit d’une double union : celle des caractères germains, celtes et latins; et puis celle d’une volonté enracinée, d’un héritage que chaque génération s’efforce de mériter (l’aristocratie bien comprise) et d’une volonté désinstallée, du dynamisme conquérant d’une famille qui doit sa réussite à l’excellence de son travail. N’est-ce pas, réuni dans un seul homme (je parle de Manfred, bien sûr !) le meilleur de l’Europe ?
L.L. : De ces pérégrinations en Europe, Manfred ramène « la conviction que l’idée de nation, seule à même de s’opposer aux forces de dislocation des spécificités en œuvre dans le monde, n’avait de sens qu’associée aux notions de terre et de peuple ». Est-ce aussi ton opinion ? Et l’Europe impériale ? Idée éminemment moderne, ne crois-tu pas que la nation se réfère plus aux concepts de territoire et d’individu ? Ne penses-tu pas que la nation demeure le meilleur agent du jacobinisme ?
É.R. : C’est mon opinion. Et je ne suis pas d’accord quand tu opposes dans ta question l’idée de nation à celle d’empire… Peut-être est-il nécessaire cependant de préciser que, lorsque j’emploie le mot de nation, je me réfère à la première définition du dictionnaire (« groupe humain de même origine, organisé sur un territoire »), et non à celles qui ont pu être données ensuite pour désigner un agglomérat d’individus rassemblés sur un sol autour de lois. L’idée de nation de Manfred, indissociable des « notions de terre et de peuple », colle davantage à celle de la nation basque ou serbe qu’à celle de la nation française ou yougoslave !… Ne crois surtout pas, Rodolphe, que je défende l’idée moderne de nation : criminelle et obsolète, n’a-t-elle pas conduit notre peuple à la situation qu’elle subit aujourd’hui ? Non, je fais partie de ces gens qui, après avoir mûrement réfléchi et malgré la peine de leur cœur, ont fait dans leur tête le deuil de la France pour tourner leurs espoirs vers autre chose, plus à même de défendre l’essentiel. Cet autre chose, je te l’accorde volontiers, pourrait être cette Europe impériale, garante de l’intégrité des nations telles que je viens de les définir.
L.L. : Comment conçois-tu le communautarisme ? Si je te pose cette question surprenante, c’est parce que dans ton roman, le futur roi de Chitral, ami de Manfred et chef politique de la rébellion, défend avec force la présence de païens au sein de l’armée de libération. Il « martela qu’il ne s’agissait aucunement d’une guerre sainte, puisque menée contre d’autres musulmans, mais d’une guerre nationale dans laquelle étaient partie prenante tous ceux qui éprouvaient l’amour de leur terre et l’impérieuse nécessité de se battre pour elles ! » Je remarque par ailleurs que dans la Confédération de la Lune blanche, la religion du Prophète cohabite avec les païens. Comment l’expliques-tu ? Quelle est ta position envers les islams ?
É.R. : Oui, en réalité tu viens de pointer le doigt sur le plus gros tour de passe-passe de mon roman… Relier païens et musulmans dans une même quête identitaire, c’était pour moi l’unique moyen de donner une cohérence à mon récit. Il va de soi que dans la réalité (et c’est pourquoi l’histoire de Manfred est condamnée à rester à jamais une histoire), les Chitralis musulmans auraient préféré mourir plutôt que de se battre aux côtés des Kafirs, de ces infidèles qui commettent le plus gros des péchés à l’encontre de Dieu, à savoir sa substitution par des idoles… D’ailleurs, après la guerre et l’avènement de Manfred, les païens ne sont tolérés par les mahométans que par peur des représailles terribles dont le jeune roi se montre capable tout au long du récit Ce serait un peu long d’exposer en détails ici ce que je pense de l’islam au singulier (car, à moins que tu ne veuilles évoquer avec ton terme d’« islams » au pluriel sunnisme et sectes chiites, je pense qu’il n’existe qu’un seul islam, terriblement unitaire !). Disons en résumé que, pour avoir vécu deux ans dans un pays musulman (fondu dans la population et non pas dans les cercles expatriés), je partage entièrement cette vision d’Alexandre Del Valle : un islam tolérant est un islam qui n’a pas les moyens d’être intolérant Et si l’Islam recèle des individualités séduisantes, il ne faut surtout pas commettre l’erreur de le réduire à celles-là ! L’islam est un rouleau compresseur, destructeur des personnalités et des identités, fossoyeur de l’intelligence et du libre arbitre : un dévoreur de destins. C’est pourquoi il doit à mon sens être combattu de toutes nos forces, au même titre que ses alliés objectifs du moment, l’esprit « mac-world » et la mentalité bourgeoise.
L.L. : En te lisant, j’ai cru déceler en toi un vécu païen indéniable tout empreint d’une sensibilité chamaniste/animiste/völkisch. Comment penses-tu le paganisme ? Quelle est ton appréhension du divin ?
É.R. : Très, très vaste sujet ! J’ai d’ailleurs bien envie d’écrire un petit livre dessus, tant cette question me paraît à la fois importante et (proportionnellement) peu traitée !… En effet, je suis païen depuis toujours. D’une enfance passée dans la nature, au contact des forces élémentaires, j’ai acquis une sensibilité païenne, qu’une adolescence studieuse a ensuite traduite en concepts (j’ai encore le souvenir de l’éblouissement que fut pour moi la lecture de l’article d’Alain de Benoist « La religion de l’Europe »), paru dans le numéro d’Éléments de l’automne 1980) et que l’adulte que je suis devenu s’emploie à maintenir vivante, quelque part entre le cœur et la tête. Ma rencontre avec les Kalashs, dernier peuple païen d’origine aryenne, a plus tard été capitale. Aux formes brutes, archaïques, jubilatoires du paganisme animiste qui prend aux tripes et dont le chant monte de la nature sauvage, aux formes fines, lumineuses, libératrices du paganisme philosophique déificateur qui embrase la raison et dont l’hymne s’élève depuis le marbre des temples, se sont ajoutées les formes vibrantes, chaudes, joyeuses du paganisme populaire, social, vivant, qui touche le cœur et relie les hommes, entre eux par des fêtes nombreuses et le sacrifice aux mêmes autels, et aux dieux par l’intermédiaire du chaman traducteur des désirs des uns et des autres.
L.L. : Quelle est la situation actuelle des peuples que tu décris ? Comment réagissent-ils face à la menace des talibans afghans et aux pressions du gouvernement militaire pakistanais ?
É.R. : Leur situation n’est pas brillante. Mais un article complet ne suffirait pas à en parler ! Disons simplement que ces peuples auxquels on a confisqué la souveraineté et qui n’ont donc plus la maîtrise de leur destin, se trouvent confrontés à d’irrémédiables bouleversements qui les dépassent : bouleversements démographiques (immigration incontrôlée), écologiques (cette immigration incontrôlée d’autres ethnies provoquant surpâturage et déforestation), économiques (confiscation des activités vitales par ces mêmes ethnies avec la bénédiction des autorités, qui n’aspirent dans leur volonté jacobine qu’à fragiliser les particularismes locaux), sociaux et culturels (la modernité et l’ouverture au monde étant instrumentalisés par l’État pakistanais dans le même but), linguistiques (à cause des mouvements migratoires, de l’influence croissante de certaines ethnies dans les affaires et de l’école en ourdou) et politiques (les autochtones étant renvoyés à leur rôle de simples propriétaires terriens par des commandants militaires et des préfets choisis par le Pakistan parmi les ethnies punjabis et pathanes…). De plus, c’est vrai, la présence proche des Afghans pachtouns talibans, si elle n’a pas de conséquence directe sur les zones sous contrôle pakistanais, contribue fortement à la radicalisation du contexte religieux régional, au grand détriment, évidemment, des Kalashs païens…
L.L. : En 1947, les peuples de la Lune blanche n’auraient-ils pas préféré rejoindre l’Union indienne ?
É.R. : Non. Ils se sont même battus pour que des territoires qui auraient dû être indiens en 1947, comme le Baltistan par exemple, soient, pour des raisons religieuses, rattachés au nouveau Pakistan. Il ne faut pas sous-estimer la force mobilisatrice de l’islam, capable de transformer en fanatique sanguinaire l’ami qui vous offrait le thé la veille…
L.L. : Tu as été cité dans Le Monde (du 9 mai 1998) en tant que collaborateur de Cartouches parce que tu avais donné une conférence à Vitrolles-en-Provence. Avec le recul, quelles sont tes impressions sur ce flicage ?
É.R. : C’est triste et répétitif de dire, mais chaque jour qui passe fait sentir davantage la chape de plomb pesant sur la pensée et la création en France aujourd’hui. Nous vivons sous une véritable dictature, feutrée peut-être, mais bien présente. Que le journal officiel du pouvoir, Le Monde, ait fait l’effort de retrouver dans un conférencier de Vitrolles un collaborateur à Cartouches montre bien l’étendue de la volonté et des moyens des tenants du Code de la Juste Pensée ! Et je me dis en frémissant que, le jour où ils seront assez puissants pour se permettre toutes les audaces, comme celle de rouvrir les prisons pour de nouveaux Brasillach, ils auront déjà leurs listes !…
L.L. : Qu’est-ce que le G.R.E.C.E. représente pour toi ? Qu’est-ce qui t’as poussé à venir nous rejoindre ?
É.R. : Je n’ai rejoint personne. Je suis né et j’ai grandi avec le G.R.E.C.E. C’est ma famille ! Même si on finit toujours par s’en aller vivre ailleurs, on conserve des liens d’affection indestructibles. Malgré les déchirements, les luttes, les querelles intestines, auxquels on assiste parfois impuissants… Nous sommes si peu nombreux : pourquoi ne pas apprendre à accepter nos proches comme ils sont, sans les regarder de trop près et en conservant d’eux ce qu’ils ont de meilleur ? Je déplore l’énergie dépensée à nous battre entre nous quand tant d’autres champs de bataille attendent notre bravoure… J’aime le G.R.E.C.E. pour ce qu’il m’a apporté : j’ai été en retour de toutes les campagnes d’affichage pour Éléments, et je continue à suivre de près tout ce qu’il fait, même si je suis de temps en temps sceptique. C’est vrai que je me sens proche aujourd’hui de Terre et Peuple, peut-être à cause de sa dimension plus « terrestre », plus concrète et passionnée; plus mobilisatrice. Mais cela ne signifie pas que le G.R.E.C.E. ne m’est plus rien. Mon vieil ami Maurice Rollet a toujours aimé le répéter : nous sommes des gens de fidélité. On ne renie pas plus ses amis que l’on ne renie sa famille.
• Propos recueillis par Rodolphe Badinand.

EUROPE MAXIMA

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