Le pentecôtisme, courant de l’évangélisme issu des États-Unis et connu pour ses manifestations liturgiques de masse très démonstratives, mais également ses méthodes fortement matérialistes, connaît un fort développement en Afrique Noire, comme dans le reste du monde.
Associé à l’image de Simone Gbagbo ou à une certaine extrême droite américaine (proche de l’ancien président George W. Bush), il est souvent vu comme un instrument de l’impérialisme US, chargé de propager à coup de prosélytisme leurs valeurs et leur vision du monde. Cependant, sur le terrain, le pentecôtisme africain obéit à des dynamiques un peu plus complexes que cette vue manichéenne ne pourrait le laisser penser.
Une implantation centenaire
Le pentecôtisme naît au début du XXe siècle aux États-Unis (en 1901 dans une église blanche du Kansas et en 1906 dans une église noire de Los Angeles) et au Royaume-Uni, d’une dissidence au sein d’églises réformées. Son dogme est fondé sur une interprétation littérale de la Bible, mais ce qui le différencie des autres mouvements protestants est l’importance accordée au « baptême par le Saint-Esprit », manifesté par les charismes (ou dons de Dieu aux croyants) et le lien direct et intime entre Dieu et le croyant.
Très vite, des missionnaires pentecôtistes arrivent en Afrique anglophone, par le biais de la colonisation britannique, notamment en Afrique du Sud, au Liberia et au Burkina Faso. Ceci est facilité par la création, dès 1914, des Assemblées de Dieu, fédération de communautés pentecôtistes américaines, disposant d’une puissante branche missionnaire qui fait de l’Afrique de l’Ouest son terrain privilégié d’évangélisation. Des Assemblées équivalentes apparaissent en Europe de l’Ouest et du Nord au milieu du XXe et vont envoyer des missions en Afrique Centrale. Ceci va résulter en la création d’églises nationales africaines autonomes, qui elles mêmes vont évangéliser les pays voisins. En parallèle, vont apparaître des églises totalement indépendantes et de taille très variable, comptant parfois quelques fidèles autour d’un pasteur.
Après une période d’ « institutionnalisation », un renouveau pentecôtiste est perceptible dès les années 1970, suivant celui observé en Amérique du Sud, d’abord marqué au sein des pays anglophones (Nigeria, Ghana) puis francophones (les deux Congo). Enfin, plus récemment, et avec moins de succès, le pentecôtisme tente de pénétrer les pays musulmans comme le Sénégal et le Maghreb.
Aujourd’hui répandu à travers tout le continent, principalement dans les zones urbaines, il n’est cependant majoritaire nulle part, et sa répartition reste très inégale. Malgré la difficulté à obtenir des chiffres, de par la disparité même du mouvement, sa porosité avec les autres croyances évangéliques et protestantes et l’absence d’autorité centrale, certains estiment qu’il y a plus de 100 millions de pentecôtistes en Afrique Noire. Le Nigeria étant, derrière le Brésil, la Corée du Sud et les États-Unis, le pays comptant le plus d’adeptes. Au niveau mondial, il s’agit de la branche de la chrétienté connaissant aujourd’hui la plus forte croissance (prosélytisme oblige), et en serait, derrière le catholicisme, la seconde plus grande dénomination.
Une certaine adéquation au moule anglo-saxon
Dans nombre de ses caractéristiques, le pentecôtisme promeut des valeurs en rupture avec la tradition africaine et compatibles avec la vision anglo-saxonne du monde.
L’image la plus connue est celle de manifestations de masse dans des mega-churches ou des stades remplis de fidèles en transe, galvanisés par un prêcheur « télévangéliste », qui pratique en direct des guérisons miraculeuses, véritables batailles contre le Malin. De vrais «shows à l’américaine » dans lesquels la « machine narrative » tourne à plein. Ces « délivrances », extrêmement spectaculaires et violentes, consistent à extraire du corps du pauvre sujet les forces diaboliques, sources de tous ses problèmes. La puissance de conviction de tels actes fait que de plus en plus d’églises pentecôtistes, même initialement réticentes, l’intègrent à leurs rituels… Il ne s’agit là qu’un des exemples de la forte dimension « marketing » du mouvement, par ailleurs passé maître dans l’utilisation des médias, marqué également par des dérives mercantiles de la part de nombreux pasteurs, plus hommes d’affaires qu’hommes de Dieu, qui confondent le denier du culte et leur compte en banque, qui roulent en 4x4, portent des montres en or et collectionnent les costumes sur mesure.
Plus fondamentalement, le pentecôtisme (ou du moins une grande partie des églises s’en réclamant) promeut la réussite financière et matérielle et l’initiative personnelle. C’est ce que l’on appelle la « théologie de la prospérité » teintée de libéralisme et issue, sans surprise, des États-Unis. La situation favorable d’un individu y est vue comme résultant des grâces divines, ce qui rencontre à la fois un écho favorable auprès des populations pauvres aspirant à une vie meilleure et des plus riches, qui y trouvent là une justification bien pratique de l’ordre social établi, voire de l’augmentation des inégalités. En poussant plus loin, cela justifie également l’enrichissement personnel du pasteur que nous évoquions il y a quelques lignes. Certains en concluent que le pentecôtisme est un « supermarché de la foi ».
Elisabeth Dorie-Aprill et Robert Ziavoula, dans leur article « La diffusion de la culture évangélique en Afrique Centrale », citent ainsi un pasteur aux accents néo-wébériens :
- Dieu ne parle que de vous enrichir, c’est ce qu’il a dit à Abraham : “enrichissez-vous!” Mais comment on peut s’enrichir en restant comme ça là ? (…) Quand vous lisez la Bible de A à Z ce n’est que l’idée de la construction.[...] D’ailleurs les pays anglo-saxons qui sont protestants, ils ont mis l’accent sur le travail.
Cette promotion des valeurs entrepreneuriales est finalement très en accord avec les messages que des institutions comme la Banque Mondiale ou le FMI peuvent véhiculer. D’ailleurs, les Assemblées de Dieu font directement référence, dans leurs brochures, à la mauvaise santé économique de l’Afrique, dont les causes sont bien connues :
- guerres fratricides…, mauvaise gestion de certains dirigeants…, aspects négatifs du colonialisme et du marxisme, dette extérieure toujours croissante à cause des importations de produits manufacturés, agriculture souvent rudimentaire.
Au niveau social et sociétal, en promouvant un lien intime entre Dieu et le croyant, le pentecôtisme met en avant l’individualisation et l’individualisme au détriment des traditions locales. Sont introduites de nouvelles logiques de solidarités entre les individus, détachées descontraintes familiales et de la communauté existante. La famille, quant à elle, est resserrée à son acception nucléaire. En ce sens, le pentecôtisme (finalement comme toute religion prosélyte) implique une acculturation du croyant qui rejoint ses rangs, en l’enjoignant de rompre avec le passé pour conjurer les maux qui le rongent.
Une montée en puissance politique
Jusqu’à très récemment, les églises pentecôtistes africaines ne se souciaient pas de politique. Cependant, souvent par intérêt (pour convertir, moraliser ou pour assouvir une ambition personnelle du pasteur), cet état de fait a changé dès les années 1990. Ainsi le pentecôtisme s’est rapproché des cercles du pouvoir. L’exemple de la Côte d’Ivoire est particulièrement parlant. Il a longuement été commenté dans la presse francophone, notamment pour l’impact supposé que les conseillers religieux du couple présidentiel auraient eu dans la relation avec la France.
La conclusion du dernier discours sur l’état de la nation de l’ancien président béninois, Mathieu Kérékou, en décembre 2005, est particulièrement éloquente :
- En ce moment crucial où la tendance est aux invectives, aux provocations, aux appels à peinvoilés à la violence, j’exhorte tous nos compatriotes a plus de retenue, car ceux qui pactisent avec le diable ne seront sûrement pas capables d’éteindre le feu de la haine qu’ils auront inconsciemment allumé. Quant à mon Gouvernement, les générations montantes et futures retiendront que la mission est accomplie et bien accomplie. C’est sur ces mots de foi et d’espérance en l’avenir radieux pour notre cher et beau pays, le Bénin, que je termine mon message sur l’état de la Nation devant la Représentation Nationale. Que Dieu bénisse le Peuple béninois et ses Dirigeants !
L’action dans le champ politique se fait, comme l’explique Cédric Mayrargue (Les dynamiques paradoxales du pentecôtisme en Afrique subsaharienne), à la fois :
- par le haut : conversion des élites (à titre d’exemple, Thomas Yayi Boni, successeur de Kérékou, est un pentecôtiste converti d’origine musulmane), fidèles nommés à des postes clés, postes de conseillers pour les pasteurs, etc;
- par le bas : ouverture d’écoles, de cliniques, de centres sociaux, création d’ONG, autant de nouveaux outils de prosélytisme.
Cet investissement, sans surprise, permet de peser sur les politiques publiques. Cédric Mayrargue donne l’exemple de l’abandon de la campagne « Abstain, Be Faithful, Use Condoms » en Ouganda grâce à l’appui de l’épouse « born again » du président, Janet Museveni. On peut également citer la stigmatisation des « non-chrétiens » et des « nordistes » en Côte d’Ivoire. Ou la participation de l’ancien président de Zambie, Frederick Chiluba, à des « croisades » et conventions pentecôtistes.
Des influences extérieures
La diffusion des valeurs pentecôtistes, au-delà de la période initiale décrite plus haut, est accompagnée de l’extérieur. Ainsi les Assemblées de Dieu américaines, ainsi que d’autres, fournissent des moyens financiers à certaines églises locales. De même, elles alimentent les pasteurs en matériel : brochures, vidéos…Les best-sellers des télévangélistes américains sont disponibles dans toutes les « bonnes » librairies, tout comme des programmes TV made in USA tournent en boucle sur certaines chaînes de télévision. Certains prêcheurs américains, tels des stars du rock, effectuent de véritables tournées en Afrique, remplissant les stades et écoulant leurs produits dérivés.
Les Assemblées de Dieu comptent, comme d’autres institutions évangéliques et pentecôtistes, aujourd’hui encore plusieurs centaines de missionnaires qui font en permanence le tour du monde dans le but d’apporter la bonne parole. De même, les églises anglo-saxonnes ont mis sur pied de nombreuses ONG à vocation humanitaire, comme Samaritan’s Purse, qui travaillent sur le terrain africain avec les pentecôtistes locaux.
Origine américaine, promotion de valeurs anglo-saxonnes, intégration du politique, investissement du champ social, soutiens extérieurs, évangélisme offensif, prosélytisme auprès de populations musulmanes (et parfois conflits interconfessionnels ouverts, comme au Nigéria) : il n’en faut pas plus pour que surgisse le spectre d’infiltration à des fins géopolitiques. Et cela va plus loin qu’une simple « américanisation » de la chrétienté africaine.
Il faut dire que les évangélistes américains, associés aux néo-conservateurs, promeuvent un christianisme radical, ultraconservateur et très offensif allant de pair avec une vision simpliste du « bien » et du « mal », et n’ont pas hésité à parler de « croisade » dans le cadre de la guerre d’Irak. Il convient également de rajouter que, notamment en Afrique du Sud, le pentecôtisme a frayé avec l’extrême-droite, qui a alimenté son fond théologique (voir Paul Gifford, The Complex Provenance of Some Elements of African Pentecostal Theology). Et si l’on inclut les Églises sionistes (présentes en Afrique du Sud depuis la fin du XIXème) à l’équation, on a de quoi alimenter le feu conspirationniste pendant des décennies.
D’autant que certaines rumeurs concernant des opérations montées par les services secrets américains vont bon train. Même s’il est avéré que des initiatives de recensement d’églises dans plusieurs pays africains sont lancées et financées depuis les États-Unis, il n’y a cependant pas, comme pour l’Amérique du Sud, de théories très structurées relatives à l’appui direct de sectes évangéliques visant à contrer des influences néfastes, communistes ou autres. On se souvient que, dans les années 1980, Ronald Reagan avait très peur de l’infiltration marxiste et de la théologie de la libération au sein de l’Eglise catholique en Amérique Latine. Et donc, naturellement, Washington voyait d’un bon œil le développement de concurrents moins rouges. Cependant, comme le montrent David Stoll (Is Latin America Turning Protestant? The Politics of Evangelical Growth) et David Martin (Tongues of Fire: The Explosion of Protestantism in Latin America), il n’y a pas eu de soutien direct de la part des États-Unis.
Nous allons le voir, il faut relativiser l’influence nord-américaine dans la propagation du pentecôtisme africain, largement marqué par des dynamiques propres au Continent Noir.
Le pentecôtisme autochtone, entre culture populaire et mondialisation
Nous l’avons déjà évoqué, il y a en Afrique un nombre incalculable d’églises pentecôtistes. Certaines rassemblant des millions de fidèles, d’autres quelques uns à peine. Certaines sont issues des missions occidentales, mais de plus en plus sont celles qui ont éclos de façon locale. Certaines existent depuis près de cent ans, d’autres apparaissent et disparaissent en un clin d’œil. Et dans leur immense majorité, elles sont indépendantes, à la fois les unes des autres, mais également de leurs homologues nord-américaines, brésiliennes ou européennes, même si des liens (surtout moraux et confessionnels) peuvent exister. L’absence d’autorité centrale renforce la mobilité théologique des différents mouvements.
La mobilité concerne également l’allégeance des fidèles. La fragilité de la plupart des églises, l’absence d’exclusivisme (contrairement à d’autres sectes) et la porosité entre les mouvements y sont pour beaucoup. De même que la très forte concurrence qui existe en Afrique subsaharienne : le paysage religieux y est marqué par une extrême complexité, entre le catholicisme, les nombreuses sectes protestantes (évangéliques ou non), l’islam et les cultes locaux toujours actifs, sans oublier les syncrétismes occidentalo-africains, comme le kimbanguisme au Congo, qui compte entre 3 et 4 millions de fidèles. Cette double mobilité est un sérieux frein à toute tentative de mainmise extérieure globale. Le développement actuel du pentecôtisme en Afrique est dû, plus qu’aux influences extérieures, au terreau propice (difficultés économiques, aspiration au développement) et à l’établissement de ce que l’on peut appeler une culture populaire. Où quand l’expérience et la pratique passent avant le fond théologique.
Comme le souligne Cédric Mayrargue, les églises pentecôtistes les plus dynamiques aujourd’hui sont autochtones et sont menées par des pasteurs locaux, comme la Redeemed Christian Church of God (dont le pasteur, Enoch Adejare Adeboye, a été nommé homme le plus puissant d’Afrique par Newsweek) ou la Deeper Life Bible Church nigérianes, le Christian Action Faith Ministries ou l’International Central Gospel Church ghanéens, la Family of God zimbabwéenne. Ces églises ont su traverser les frontières et se doter d’une ambition universelle, drainant chaque semaine des milliers de fidèles lors de « croisades » dans des stades ou sur des places publiques.
Leur présence dépasse aujourd’hui les frontières africaines. La Church of Pentecost ghanéenne est ainsi implantée au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, en Ukraine et en Inde. Les flux ne sont plus simplement dirigés dans le sens Nord-Sud mais s’orientent désormais selon un axe Sud-Sud et même Sud-Nord, notamment grâce aux diasporas. Cela ne concerne pas uniquement les transferts d’argent, mais aussi et surtout le fond théologique : l’Afrique participe activement à la production idéologique et théologique du pentecôtisme. Où le Continent Noir n’est plus seulement importateur mais aussi exportateur d’influence, une marque de plus de son intégration à la mondialisation actuelle.
JGP
10/05/2010
Correspondance Polémia 24/05/2010
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