mercredi 8 septembre 2010

Brasillach, 58 ans après…

Lundi 3 février 2003, j’entre dans ma semaine tragique. En apparence, rien n’est changé. Je vais, je viens, je vaque vaguement. Je lis. Je rêvasse. Je suis la télé d’un derrière distrait. Je réponds au téléphone : Ca va ? Ça va ? Alors ça va. Accroche-toi, fils, dit Tonton. C’est lui qui retourne à l’hôpital, la caserne de la retraite. En vérité, je suis ailleurs. Comme tous les ans, jusqu’au 6 février, 9 heures 48, j’hiberne dans ma machine à remonter le temps.  J’écoute mon vieux phono à pile : Douce France !…Et puis encore une chanson plus vieille que moi : J’avais un camarade… C’est un air qui me serre le cœur, malgré ses piles.

Est-ce le climat général ? Ce pèlerinage, rituel à la prison de Fresnes, et au stand de tir de Montrouge me paraît encore plus lourd de tristesse et de dérision. Pourquoi, Seigneur, pourquoi ? Sous  les mots d’aujourd’hui, j’entends les mots d’alors. Dans la grisaille froide de l’hiver traînent des rires et des sanglots, des voix légères, des voix amères, beaucoup de ricanement aussi. Quand le ricanement devient la principale arme de défense, il y a du souci à se faire… Des ectoplasmes passent qui rappellent des fantômes. Des similitudes s’ébauchent. Des ressemblances se dessinent. Elles suscitent l’amalgame. Ca clone méchant dans le devoir de mémoire.

Nous voici devant une nouvelle guerre- éclair. La dernière dura sept ans. La prochaine, on ignore. Cent ans ? Perpète ?Le pire n’est pas toujours impossible. Entre les Etats-Unis, maîtres de la mer, de la terre, de la ciel et de la banque, donc des nations les plus friquées de cette vallée de larmes et un terrorisme disparate mais planétaire, tenant les caves, les bidonvilles, les ruines, les gourbis, les grottes, les forêts et les nuits sans lune, le conflit peut durer. Le match au finish, robots contre hommes mutants sous-hommes, réservera des surprises.  La guerre contre la guérilla engendrera un état d’insécurité endémique, totale et tous azimuts. Le monde s’y fera. Il s’y fait déjà. On se fait à tout. Il y aura des périodes d’accalmie pour le commerce, les soldes, la fête des mères. Elles seront suivies de période d’intensité active, comme les volcans pour redonner goût à l’épargne et à la défense de nos valeurs.Les Amerolocks, qu’on est bien obligé de baptiser les Amershylocks, sont prêts. Ils tiennent l’Axe du Bien Washington Tel-Aviv.Ils ont les armes absolues et l’argent. Ils vont avoir l’exclusivité du pétrole jusqu’à extinction des puits. Ils ont gagné la Deuxième guerre mondiale contre des ennemis autrement redoutable que l’Irak. Ils vont gagner celle-ci les doigts dans le nez. Il y a de la place. Ils gagnent toujours, sur tous les tableaux, à n’importe quel prix. Ce sont les autres qui saignent et qui casquent…Ce ne sera pas Féerie mais Tragédie pour une autre fois qu’on va nous jouer et les derniers massacres seront sans bagatelles. Merci Ferdinand de nous avoir affranchis. Ça me rappelle tant de choses à trois jours de l’anniversaire… Le cinquante-septième anniversaire de la mort qui aura le plus marqué ma vie.

Robert Brasillach fut fusillé au fort de Montrouge le 6 février 1945, par un peloton de soldats français en mission d’exécution commandée par la coalition au pouvoir.  Elle se composait de gaullistes, de communistes, de socialistes et de chrétiens-démocrates de surcroît. J’espère n’oublier personne. Dans le cas contraire, le lecteur peut compléter.
Brasillach aurait eu 36 ans au mois  de mars. Écrivain et journaliste français (comme les soldats), il laissait une œuvres diverse, originale et remarquable. Deux livres émouvants de jeunesse que la mort rendait plus précieuse encore ; des poèmes dont les célèbres Poèmes de Fresnes que tint à enregistrer Pierre Fresnay. ; neuf romans riches de promesse, de vie, d’apprentissage ; deux livres sur le cinéma ; un autre sur le théâtre ; des pièces ; une Jeanne d’Arc où se mêlait le présent et le passé : l’Anthologie de la poésie grecque ; des milliers d’articles, de reportages (dont l’un sur Katyn a dû peser sur son destin) ; des études sur les écrivains qui faisaient de lui un des premiers critiques de son temps ( Corneille, Les Quatre Jeudi) ; huit années de feuilleton littéraire hebdomadaire à l’ « Action Française »…Un pareil travail permettait de mesurer celui  que ce jeune homme accomplirait si la vie ne lui était pas ôtée. Cet aspect du drame ne retint ni l’attention de jurés  ni celle des magistrats. Avec l’aval de François de Menthon, ministre de la justice démocrate-chrétien, les premiers avait été choisis sur des listes d’adversaires fournies par le Parti communiste. Dans une situation de guerre civile, ça ne pardonne pas. Les second voulaient faire oublier qu’ils avaient prêté serment au maréchal Pétain.

Ce matin du 6 février 1945, l’air est gris et froid. Brasillach porte une écharpe de laine rouge autour du cou sur un pardessus bleu marine. Le soldat chargé de lui lier les mains au poteau n’y arrive pas. Il doit avoir les doigts gourds. L’officier commandant la mise à mort appelle le maréchal-des-logis. Celui-ci ne réussit pas du premier tout. Les secondes sont terribles. Robert se tient droit devant son poteau. Il a la tête haute, pâle, mais fière… Me Isorni, son avocat, qu’il assiste jusqu’au bout, donna plus tard tous les détails. Le greffier lit l’arrêt qui rejette le pourvoi. Robert lui répond. Au peloton il crie : « Courage !» Il en faut quand on est douze, avec des fusils, et qu’on doit tuer un home ligoté et sans armes. Pour lui il crie aussi :  « Vive la France ». Que peut crier d’autre un nationaliste français ?Le feu de salve explose. Le haut du corps se sépare du poteau. Il semble se dresser vers le ciel. La bouche se crispe. Le maréchal-des-logis de précipite. Il donne le coup de grâce. Quand le condamné à mort n’a pas été gracié, c’est la règle. Une grosse larme de sang goutte sur le front. Le corps a glissé sur le poteau. On l’enlève pour l’emmener au cimetière de Thiais.Il sera enfoui, anonyme dans le quartier des suppliciés. Vive la France !

L’instruction s’était contentée d’une heure et demie pour interroger l’inculpé et lui promettre de répondre aux questions  posées sur un bon millier d’articles.
Le 19 janvier 1945, la délibération fut encore plus rapide. Il lui suffit de vingt minutes. Robert Brasillach était condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi. L’intelligence, nul ne doutait qu’il en eût. Avec l’ennemi, c’était moins établi. L’ennemi n’existait plus.  Le traité d’armistice signé le 22 juin 1940 par le Troisième Reich allemand et la Troisième République française le mettait entre parenthèse. En droit, l’article 75 ne s’appliquait pas à Brasillach. Mais que vaut le droit dans la guerre civile ? Que valait-il devant l’énormité des crimes perpétrés en série avec préméditation par l’accusé ?

Ces crimes n’étaient pas discutés. Non seulement Brasillach ne les niait pas, mais il les revendiquait. De 1941 à 1944 il ne cessait de dénoncer l’entrée de la France dans la guerre et les influences qui, après nous avoir désarmés, nous y poussèrent.  Il en profitait pour répéter le peu d’affection qu’il nourrissait pour l’Amérique et Israël. Voici un exemple. A un « Français naïf »  il écrivait : « L’Amérique t’a trompé…Personne ne t’a trompé plus cruellement que l’Amérique… Elle a exploité les divisions de l’Europe qui profitaient à ses marchands de machines et à ses acheteurs d’or. Elle te méprise du haut de ses dollars…de ses banques, de ses trafiquants, de ses nègres et lyncheurs de nègres, de ses puritains et de ses divorces à la vapeur et avant tout du haut de ses Juifs. »
Le mot tabou était jeté. S’il parlait de « l’énergie américaine », des « solides qualités de la race » « des beaux exemples humains (donnés) par les pionniers et les défricheurs de terre », le « malheureux Brasillach » (comme disait Mauriac) revenait vite à son obsession : « A côté de cette Amérique créatrice il y a une Amérique abominable, le ramassis de tout les ghettos de l’Europe centrale, la presse juive, la radio juive, le cinéma juif, les affaires juives, découvrant leur drapeau d’élection dans la bannière étoilée. »

Aujourd’hui ces imprécations épouvantables conduiraient Brasillach devant la XVII Chambre correctionnelle. Elles tombent sur les coups (et le coût) de la loi Fabius-Gayssot qui punit sévèrement la xénophobie, la discrimination raciale et l’antisémitisme. Brasillach serait condamné à de lourdes amendes, à des dommages –intérêts importants et à de la prison ferme. En 1945, quoique le délit de xénophobie fût à géométrie variable, ce qui permettait de déclarer qu’ « il n’y avait de bons Allemands que morts ! » en toute impunité, rien que la mort n’était capable d’expier ce forfait.

Cette perspective n’arrêta pas Brasillach. Au spectacle de la jeunesse allemande se sacrifiant de la mer Noire à la Baltique pour empêcher l’Armée Rouge, équipée et véhiculée par l’Amérique, de débouler jusqu’à Brest en passant par les Galeries Lafayette, le « malheureux » crut utile d’en rajouter. De « collaborateur de raison », il était devenu « collaborateur de cœur » écrivait-il. Alors que les Allemands passaient d’une victoire probable à une défaite certaine, il ajouta : « Indépendamment des fluctuations de la guerre…la France doit s’entendre d’avance avec l’Allemagne pour former avec elle le syndicats des vaincus si le malheur le voulait, pour former avec elle une unité de l’Occident fort dans l’autre cas. »

Une pareille obstination dans l’erreur ne pouvait se terminer que devant les fusils de Montrouge. Si seulement il avait attendu 58 ans ! Ces mêmes fusils lui auraient présenté les honneurs. Et, qui plus est, au commandement du président Chirac. C’est lui qui aujourd’hui privilégie le syndicat France-Allemagne, union n°1 d’un Occident fort, expression du couple franco-allemand dont le premier enfant sera la nationalité commune. Comme le temps passe… Quel avenir aurait été le sien s’il n’était pas allé se livrer aux bourreaux parce qu’ils avaient arrêté sa mère à sa place ! Deux jours avant la fin, à Fresnes, au rez-de-chaussée de la première division, dans cette cellule où je l’ai vu pour la dernière fois, il écrivait : «Tout quand vous voulez mon Seigneur, est possible. » Mais le Seigneur ne le voulut pas et ça saigna.

Voilà, cher Robert, mon cadeau d’anniversaire. Le cinquante-septième, le dernier peut-être…Qui sait ? Quand on aborde ces rivages de l’âge, comment n’y penserait-on pas ? Où qu’on se tourne et retourne, on marche dans un cimetière. Encore une chanson pour mon phono. Fréhel ? Tu te souviens ? Sa voix rauque, veloutée Gauloises-perniflard… Où sont-ils donc tous mes copains ? Si je me permets de te le dire, c’est qu’on ne t’a pas laissé le temps de découvrir les privilèges de la vieillesse.

François Brigneau


Ma Semaine tragique, Le Libre Journal, n°285 du 8 février 2003


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