Ils ne voulaient pas y croire. Ils doivent maintenant s’y préparer. La Belgique n’est pas encore morte, mais les poussées séparatistes sont telles que les scénarios d’un divorce sont sur la table. La reprise du dialogue entre néerlandophones et francophones, cette semaine, met le Royaume, Bruxelles et l’Union européenne au pied du mur.
La fortune du premier actionnaire de la bourse hexagonale, grossie au fil des ans par l’achat- revente de quelques «dinosaures» du Plat Pays (la Banque Bruxelles-Lambert à ING, Petrofina à Total, Electrabel à Suez…), n’a d’ailleurs plus grand-chose de belgo-belge. Comme si l’intéressé avait anticipé l’éclatement du Royaume contre lequel il ne cesse pourtant de s’élever, jugeant «insensé le chemin de la scission».Albert Frère l’a déjà fait. Ou presque. Le milliardaire le plus célèbre de Belgique se partage, à 84 ans, entre son domicile parisien de l’avenue Foch et sa résidence de Gerpinnes, dans la province du Hainaut.
Insensé, vraiment? Depuis les élections du 13 juin remportées, dans le nord néerlandophone du pays, par le parti nationaliste de la Nouvelle Alliance flamande (NVA), le scénario d’un divorce belge est pourtant impossible à écarter.
Les deux hommes sortis vainqueurs du scrutin, le socialiste francophone Elio di Rupo et le leader de la NVA Bart de Wever, doivent se retrouver discrètement ce mercredi ou jeudi pour renouer leurs pourparlers interrompus en août, faute d’accord sur la fameuse «réforme de l’Etat» exigée par les principaux partis flamands, majoritaires au parlement. Les optimistes prédisent, une fois encore, un acrobatique «compromis à la belge» avant la rentrée des députés, le 12 octobre. Mais beaucoup d’autres se préparent à l’éclatement. Avec, à l’appui: cartes, chiffres, institutions, drapeau et hymne…
Séparatistes en force
L’affaire est, depuis plus d’une décennie, pliée côté flamand. Le plan des nationalistes néerlandophones est tout entier contenu dans les résolutions votées en 1999 – et réactualisées en 2008 – par le parlement régional de la Flandre, dont le siège se trouve… à Bruxelles, oriflamme jaune orné du lion noir claquant au vent. Ses demandes ne sont pas ouvertement séparatistes. Elles exigent la régionalisation de la fiscalité, de l’assurance chômage, du financement de la santé, des allocations familiales, et même de la SNCB, les chemins de fer belges.
L’Etat fédéral actuel serait déshabillé au profit «d’un déplacement du centre de gravité vers les régions». Soit. Mais difficile de ne pas voir dans cette liste les prémices de l’«évaporation de la Belgique» chère au leader de la NVA Bart de Wever. «Nous atteindrons sans doute 2030, le 200e anniversaire du pays, sous une forme confédérale, prédisait récemment l’éditorialiste flamand Luc Van Der Kelen dans les colonnes du Soir. La Belgique a encore une plus-value. Mais à terme, elle n’existera plus.»
Le divorce ne serait donc pas pour demain. Au nord, de nombreux intellectuels affirment même que les néerlandophones veulent réformer l’Etat pour mieux sauver le Royaume, citant le confédéralisme suisse en exemple. N’empêche: l’idée de séparation s’installe, fruit de l’intransigeance du nord et d’une lassitude mutuelle. Le couple belge n’a plus d’envie. Ou ne la perçoit plus: «Les urnes ont parlé. Les Flamands veulent nous quitter», lâche une enseignante wallonne de Namur, oubliant que les nationalistes, en Flandre, n’ont recueilli le 13 juin que 43,8% des voix et qu’ils n’ont donc pas la majorité. Un défaitisme qui énerve à Bruxelles: «La domination médiatique des indépendantistes est insupportable, s’énerve un commerçant. Ils sont plus pressés d’en finir que leurs électeurs.»
Les élus et intellectuels wallons se sont toutefois mis au diapason. Ils revendiquent aujourd’hui ouvertement Bruxelles (voir ci-dessous) et, pour certains, lorgnent vers Paris. Le courant «rattachiste», toujours très minoritaire, donne de la voix. «La scission est à l’ordre du jour. Discutons-en!» clamait ces jours-ci l’annonce d’un débat, dans les couloirs de l’Université de Louvain la Neuve. L’heure des calculs est aussi arrivée. Combien d’ambassades, d’édifices publics, de musées, à partager? Au sein du gouvernement wallon basé à Namur, des fonctionnaires réfléchissent à une clef de répartition nord-sud de la dette publique belge. 333 milliards d’euros, soit 100% du PIB. 20 milliards de déficit budgétaire en 2010. La fracture belge est connue. La facture, elle, sera bientôt prête.
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