Les flics de la pensée ne désarment pas. Maintenant, c’est au tour de Le Corbusier de subir un procès rétrospectif aux méthodes délicatement totalitaires.
Ce n’est pas la première fois que l’architecte neuchâtelois fait l’objet d’un procès politique posthume. Il y a quelques années déjà, l’écrivain-pyromane Daniel de Roulet avait tenté de jeter l’opprobre sur Le Corbusier, dans un article publié dans la revue d’architecture Tracés*. A vrai dire, le procès était un peu mal instruit, faute de données: Roulet avouait que, s’étant rendu à Vichy pour «essayer de comprendre», il avait finalement renoncé à son entreprise, saisi d’un ennui subit pour les bords de L’Allier. Ce qui ne l’avait pas empêché de salir copieusement sa victime, qui évidemment n’est plus là pour se défendre. On pourrait appeler ça la Méthode Roulet: quelque soit votre méfait, attendez la prescription judiciaire, et la mort des victimes. Méthode qu’il a appliquée aussi bien après avoir incendié le chalet d’Axel Springer (un grand patron de presse, donc forcément un facho), que pour insulter la mémoire de Le Corbusier.
On pourrait éventuellement comprendre certaines réserves à propos de Le Corbusier s’il avait manifesté, de manière constante et déterminée, un intérêt appuyé pour le Régime de Vichy, pour l’Allemagne nazie, ou proféré des critiques haineuses à l’égard des Juifs, dans des écrits engagés et assumés, des essais, des articles ou des conférences. Bref, si cela avait été le signe d’une conviction profonde.
Or il n’en est rien. On est allé piocher dans sa correspondance privée, et même dans des lettres à sa mère ! Notre moderne Gestapo des idées ne se soucie guère du caractère intime, et donc non représentatif, que peut avoir une correspondance entre un homme et sa mère; pourtant, on n’écrit pas à sa mère comme on rédige un article d’opinion: on se laisse aller, on dit tout ce qui nous passe par la tête, le raisonné et le loufoque, parfois même en fonction de ce que la destinataire a, nous le savons, envie d’entendre. Pour une fois, il n’est pas nécessaire de peser chaque mot en pensant au qu’en-dira-t-on. Quelle importance ? C’est un courrier privé qui ne regarde personne, d’autant que seuls les deux protagonistes savent vraiment pourquoi l’un et l’autre écrit ceci ou cela, en fonction de leur longue complicité familiale. Personne n’ira jamais y fourrer son nez. Que l’on croit ! Ose-t-on encore écrire à sa mère?
Cela, les censeurs n’en ont cure. Fouiller la correspondance privée, regarder par le trou de la serrure, c’est une tactique totalitaire classique. Ils en ont une autre, habituelle et tout aussi détestable, qui consiste à monter en épingle une phrase, soigneusement sortie de son contexte naturel et historique, pour proclamer: «Voyez ! On vous l’avait bien dit !» C’est un procédé particulièrement odieux, puisqu’il vise à juger de la vie entière d’un homme sur la base d’un bout de phrase, bout de phrase qui suffira à le jeter bas dans le caniveau, au mépris de tout ce qu’aura été son existence, de tout ce qu’il aura apporté à la collectivité, de toute son œuvre. Surtout, c’est juger les individus à l’aune des conceptions d’aujourd’hui, ce qui est un non-sens historique particulièrement scélérat. De plus, c’est imprudent: il est probable que dans 50 ans, le politiquement correct d’aujourd’hui sera passible d’une féroce condamnation morale! Espérons que M. de Roulet et les historiens-procureurs n’écrivent pas à leur maman…
Avant Le Corbusier, les talibans du politiquement correct avaient déjà tenté d’abattre Louis Agassiz, zoologue et géologue américano-suisse considéré comme le premier savant américain d’envergure mondiale – largement de quoi vouloir le salir –, et plus récemment le Général Guisan, au gré d’insinuations malveillantes d’historiens plus engagés que scientifiques. Jusqu’ici, ces agressions se sont soldées par des échecs complets, mais il faut rester vigilant: les pyromanes se caractérisent par le côté obsessionnel et récurrent de leurs crises. Nul doute donc qu’ils n’aient pas fini d’aller jeter leurs cocktails Molotov sur les tombes d’Agassiz, de Guisan et du Corbu.
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