Vu de France, il est difficile de comprendre ce qui se passe actuellement entre Berlusconi et ses alliés. Pourriez-vous nous l’expliquer ?
En Italie on a un peu moins de pudeur qu’en France ce qui fait qu’on se préoccupe moins de cacher la rude réalité des choses.
Ce qui se passe est, en fait, très simple : Fini est terriblement jaloux et envieux de Berlusconi et, pour cette raison, il cherche toujours à lui tirer dans les pattes. C’est mesquin et c’est terriblement humain. À cela, il faut ajouter que Fini est un homme de la City et qu’entre Londres et Berlusconi, il n’y a aucune harmonie.
Tout cela a fini par provoquer une crise qui n’en est pas vraiment une, car Fini n’a plus, actuellement, de base politique. Son électorat originel est passé en masse chez Berlusconi, et il doit inventer, à la hâte, un parti qu’il voudrait à la fois occidentaliste et new age, ce qui n’est pas si facile que cela à créer!
Lui et les députés qui le soutiennent n’ont aucune certitude concernant leur futur et, de ce fait, ils ne veulent pas prendre le risque d’élections anticipées.
Pour l’instant, les partisans de Berlusconi et ceux de Fini vivent ensemble, tout en faisant chambre à part…
Il faut ajouter, de plus, que c’est une querelle d’appareil politicien car, pour l’instant, les électeurs de la majorité restent sur les positions de Berlusconi et de Bossi. En effet, les sondages d’opinion ne donnent à Fini qu’entre 2 et 3 % d’intentions de vote - en partie pris à l’opposition - et cette querelle risque plutôt de susciter des abstentions à droite que de diviser réellement cette famille politique.
Que pensez-vous donc que Fini va faire à court terme ?
Le projet de Fini, pour l’instant déjoué par le premier ministre, était d’attendre les effets d’un impeachment qui aurait été prononcé par les magistrats à l’encontre de Berlusconi. Il a travaillé dans cette optique, afin de se présenter, le moment venu, comme l’homme de l’union nationale présidant un gouvernement de large entente mais dirigé par les banquiers. Ayant échoué dans sa manœuvre, Fini semble aujourd’hui se diriger vers le centre où, avec l’aide de plusieurs anciens démocrates-chrétiens, il espère, par une coalition, faire passer les scores électoraux centristes de 6 à 8%, ce qui ne représente pas une perspective extraordinaire. Quant à ses chevaux de bataille, il défend actuellement l’idée de donner rapidement la nationalité italienne aux immigrés et de refroidir nos relations avec la Russie…
Mais, puisqu’un train en cache souvent un autre, il se peut que le désir de Fini de se rapprocher du centre ait un second but. On murmure qu’un autre projet pourrait être en gestation, il s’agirait de la création, par l’industriel Luca di Montezemolo d’un « parti du renouveau national » qui aurait comme ligne directrice de défendre le politiquement correct contre toute forme de populisme. Dans cette optique, Fini, devenu centriste, survivrait sans jouer cependant un rôle décisif.
En France, au sein du mouvement national, la Ligue du Nord jouit souvent d’une image très positive alors que Fini et l’Alliance nationale sont voués aux gémonies et incarnent l’exemple à ne pas suivre. Pensez-vous que ceci soit justifié ?
Comme toutes les choses vues de loin c’est une image un peu trop stéréotypée tout en étant assez juste. Il faut, cependant, préciser que l’Alliance nationale n’existe plus.
Avant d’être complètement étouffés électoralement par Berlusconi et Bossi – perspective qui était inéluctable au vue des sondages - les dirigeants de l’Alliance nationale ont accepté de fusionner avec Forza Italia pour donner naissance au Popolo della Libertà, qui est le premier parti italien et qui est, sans discussion aucune, uniquement celui de Berlusconi.
Quelques élus venant de l’Alliance nationale se comportent dignement, mais dans l’ensemble on trouve les plus indignes et les moins courageux parmi les anciens de la droite nationale, alors que les moins politiquement corrects sont plutôt d’anciens modérés, surtout d’anciens socialistes. Il faut dire, toutefois, pour ne pas se méprendre, que le socialisme en Italie n’est pas du tout le même qu’en France.
Nous savons qu’il existe en Italie un mouvement national divisé (MSFT, FN, Destra, Azione Sociale, etc.) s’agit-il d’une « butte témoin » politique où estimez-vous qu’à terme ce courant puisse connaître un renouveau ?
Les groupes dont vous parlez ne sont qu’un rassemblement de morts-vivants.
Le mouvement national ou, vu qu’on parle de l’Italie et pour nommer un chat un chat, la mouvance « fasciste », soit au moins deux millions d’électeurs, se porte très bien, mais elle n’est pas incarnée par un parti, ce qui n’est pas forcément un mal. Les « fascistes » votent pour Berlusconi, pour la Lega, ou bien ils s’abstiennent.
Il faut savoir que, aussi incroyable que cela puisse paraître pour un Français, jamais depuis ma naissance le fascisme n’a été aussi populaire auprès de l’opinion publique italienne qu’aujourd’hui.
Les groupes dont vous parlez, par contre, ne sont qu’une petite minorité de nostalgiques d’un passé qu’ils n’ont généralement pas vécu, et qui cherchent, non pas à suivre le modèle fasciste, mais plutôt à recréer un improbable nouveau MSI. Ils s’agitent en se fédérant et en se divisant continuellement. Ils s’agitent mais sans résultat, car leur effort est grotesque et parfois relève même plus de la psychiatrie que de la politique.
Quant à Alessandra Mussolini, après avoir dirigé Azione Sociale, un groupe de cette mouvance, elle s’est fait élire députée du Popolo della Libertà et elle dirige la Commission parlementaire sur l’enfance.
Certains Français, voudraient voir dans le courant qui existe autour de la Casapound un exemple transposable dans notre pays. Quel est la réalité de celui-ci et que propose-t-il réellement ?
Tout d’abord il ne faut jamais copier un modèle qui n’est valable que dans son contexte, ce qui ne doit, cependant, pas être pris comme un alibi pour dire « Là –bas c’est permis, ici on nous empêcherait de le faire ». Les deux attitudes, fréquentes l’une comme l’autre, sont stupides et, au bout du compte, infondées. De ce qui fonctionne il faut prendre ce qui peut être pris, en esprit comme en méthodologie.
Qu’est que la Casa Pound? C’est quelque chose de très particulier : un mouvement politique, un mouvement social et un mouvement culturel à la fois. Sa spécificité réside justement dans le fait d’être une avant garde – artistique et médiatique – qui a des références évidentes avec un passé passionnel, celui du mouvement mussolinien.
Née à Rome autour d’un groupe musical, Zetazeroalfa, qui gérait aussi un pub, le Cutty Sark, et qui sous le nom de Farenheit 451 se produisait dans de joyeuses provocations médiatiques, la Casa Pound a débuté en donnant un toit à des familles italiennes sans abris. Autour de cette dynamique, les jeunes gens qui l’animaient produisirent aussi un projet de loi pour garantir la propriété de la demeure familiale, une loi qui, si elle était votée et appliquée, empêcherait les spéculations typiques du secteur de l’immobilier.
Ce projet de loi, dit du Mutuo Sociale, lancé médiatiquement par l’apparition dans plusieurs villes italiennes de dizaines de mannequins pendus, a été approuvé (mais pas encore appliqué) dans différentes mairies et régions d’Italie. Cela souvent par des majorités transversales droite-gauche et parfois même à l’unanimité.
La même chose s’est passée pour un deuxième projet de loi nommé « Le temps d’être mère » visant à favoriser la démographie. À la Casa Pound les action précédent les affirmations mais celles-ci prennent forme comme projets de loi.
Au sein de la Casa Pound il existe une activité culturelle assez importante. Des hommes de spectacle, des journalistes, y viennent discuter. Des politiciens font de même. Il s’agit de conseillers régionaux, de députés, de sénateurs, de droite, et pas exclusivement d’ADN nationaliste, mais aussi de l’opposition, du Parti démocratique notamment. Ils sont rarement invités, d’habitude ils demandent eux-même à être reçus, comme ce fut le cas d’un ancien chef de Brigade Rouge, Morucci.
Pour donner une idée de ce dont on parle, il faut savoir que l’année dernière, en retirant à Venise un prix gagné pour son film sur mai 68, Il grande sogno, le metteur en scène de gauche, Michele Placido, a affirmé en direct à la télé qu’il espérait d’être invité à la Casa Pound (ce qui ne fut d’ailleurs pas le cas) car c’est seulement là, d’après lui, qu’existe une activité culturelle qui est morte à gauche.
Culturellement la Casapound à lancé aussi un réseau de cercles futuristes très actifs et il existe une association éclectique d’artistes pour la Casa Pound.
Les activités sportives ne manquent pas non plus. Il y a une association d’alpinisme, la Muvra, ainsi qu’une association de parachutisme, Istinto Rapace qui avait été portée sur les fonds baptismaux par une star de la télé, qui était cependant un homme véritable, Pietro Taricone, décédé en juin dernier lors d’un saut. Il existe aussi une équipe de waterpolo, une école de football, une équipe de hockey et une société de plongée sous-marine.
La Casa Pound en tant que mouvement compte quelque milliers d’adhérents. Son groupe étudiant, le Blocco Studentesco, est le plus dynamique de toute l’Italie. À Rome, dans les lycées, sa liste est arrivée en tête aux dernières élections avec 39 % des suffrages, et cela en se référant carrément au fascisme !
La Casa Pound publie un mensuel L’Occidental, dont le choix du nom, je l’avoue pas extraordinaire, s’explique parce que la revue a été reprise à des anciens qui l’avaient animé pendant cinquante ans et qui aimeraient mourir avant de le voir disparaître, ainsi qu’un trimestriel Fare Quadrato
Ce sont les actions sociales qui sont l’axe porteur de la Casa Pound. L’année dernière, lors du tragique tremblement de terre de L’Aquila, le mouvement a travaillé 24 heures sur 24 pendant deux mois entiers pour soutenir, par son réseau, par ses bras et par son enthousiasme, la population locale.
Imaginez vous la satisfaction que vous pouvez ressentir lors d’une des immanquables campagnes de presse diffamatoires - en Italie comme en France nous y avons droit – quand, après qu’un journaliste ait dénoncé une « haineuse infiltration fasciste rejetée par les citoyens », le maire du village où les volontaires de la Casa Pound étaient basés, un maire d’une liste civique apolitique et non pas de droite, lui a répondu en offrant la citoyenneté d’honneur de sa commune au président de la Casa Pound, Gianluca Iannone.
Et pensez à la satisfaction de voir des gens de tout âge et de toute couleur politique se serrer autour de vous. Je me souviendrai toujours, quant à moi, de la vieille paysanne ayant tout perdu qui m’a embrassée en criant à tout le monde « je le savais que les fascistes sont des gens bons! ».
Voici ce qu’est la Casa Pound : enthousiasme, innovation dans la fidélité, ouverture vers les gens, action plutôt que palabres, et, surtout, esprit positif et non pas négatif. C’est une révolution culturelle qui devient politique par l’influence acquise sur les politiques qui ne sont ni singés ni concurrencés mais, au contraire, soumis à la pression populaire.
La Casa Pound agit, produit, s’élargit et se construit en même temps comme mouvement et comme lobby. Ce qui, évidemment, laisse prévoir d’autres dimensions d’action à venir ainsi que d’autres instruments d’intervention, dont le centre d’étude Polaris que j’anime et qui publie une revue trimestrielle assez consistante.
Ce qui est révélateur c’est que la Casa Pound est née de l’action de militants ayant moins de quarante ans et qu’elle n’a jamais reçu un centime de subvention. Elle se finance par ses pubs (il y a en plusieurs), par sa librairie romaine (la Testa di Ferro), par la vente de ses gadgets, par les recettes des spectacles musicaux, par les cotisations annuelles de ses membres et par des soutiens militant. Ce qui prouve combien est juste le dicton « Vouloir c’est pouvoir ».
Une question plus personnelle. Pino Rauti a été, dans les années 1970/1980, une source d’inspiration pour beaucoup de militants nationaux français dont j’étais. Qu’est-il devenu ?
Il a pris sa retraite mais il soutient Berlusconi.
Sa fille s’est mariée avec Gianni Alemanno, l’actuel maire de Rome, et elle vient tout juste de lancer le projet d’un grand observatoire public contre le racisme et la xénophobie…
J’ai eu l’occasion de chroniquer dans Flash Intrigo Internazionale de Rosario Priore. Que pensez-vous de sa vision de la stratégie de la tension ? Est-ce que son analyse recoupe la votre ?
Apparemment. Mais, en bon juge de l’époque, il continue à se tromper complètement.
Il est vrai qu’au départ il se rallie à ma lecture de la stratégie de la tension. C’est-à-dire qu’il conteste la thèse imposée par les communistes. Cette thèse soutient, sans aucun élément d’appui, si on fait exception de sa répétition obsessionnelle, que la stratégie de la tension aurait été inventée par la CIA et exécutée par les fascistes pour contrer la montée du Parti communiste. Ce qui est faux. Tout d’abord car cette montée a toujours été favorisée et pas du tout retardée par les attentats. Ensuite, parce que les documents officiels de la CIA, même ceux publiés par la presse communiste, indiquent que celle-ci a toujours été favorable – et ce depuis 1964 ! - à la participation du PC au gouvernement italien.
La logique de la stratégie de la tension est à chercher ailleurs, à savoir dans la guerre secrète qui s’est déroulée pour le contrôle de la Méditerranée. C’est ce que j’ai toujours affirmé. Et c’est ce qu’a expliqué Aldo Moro aux Brigades Rouges avant son exécution.
Aujourd’hui nous avons beaucoup de témoignages d’anciens terroristes rouges qui l’ont confirmé et qui parlent d’infiltrations anglaises et surtout israéliennes dans leurs réseaux. Un des fondateurs des Brigades rouges, Franceschini, a raconté en détail la proposition d’aide faite le Mossad qui voulait affaiblir l’Italie afin de se garantir le soutien américain dans la Méditerranée.
Finalement le juge Priore reprend ces éléments, sur lesquels, jusqu’à aujourd’hui, personne n’a jamais voulu enquêter sérieusement. Mais, après cela, il les oublie immédiatement. Et la sale guerre que les anglais ont mené à l’Italie à cause de son autonomie dans la Méditerranée, et la sale guerre qu’Israël a mené a Italie pour l’affaiblir, comme le Mossad l’expliqua à Franceschini, mais aussi pour la faire renoncer à sa politique pro-arabe, disparaît d’emblée à la fin du livre.
De même, il n’y a aucune référence au fait qu’un des dirigeants italiens d’Hypérion - l’école de langue parisienne accusée d’être la centrale internationale de manipulation du terrorisme - était le fils du dirigeant du Mossad dans mon pays.
À l’improviste, sans aucune logique et malgré tout ce qu’il a quand même écrit dans son livre, quand il s’agit de conclure, Priore ne parle plus de l’offensive anglaise et de l’offensive israélienne et la guerre pour la Méditerranée qui a ensanglanté l’Italie devient d’un coup de baguette magique un crime français et palestinien!
Reste-t-il encore des protagonistes de cette période dans les prisons italiennes ? Que pensez-vous des tentatives de faire extrader des pays où ils résident maintenant certains « réfugiés politiques » de cette époque ?
En prison, il y en a encore quelques-uns tels Pasquale Belsito, Gilberto Cavallini, Carlo Cicuttini ou Pierluigi Concutelli. Les lois spéciales employées pour lutter contre un phénomène que des secteurs de l’État avaient alimenté afin d’influer sur la politique étrangère italienne, sont tellement absurdes, illégales, arbitraires et injustes, qu’aucun pays civilisé ne peut extrader qui que ce soit parmi les réfugiés politiques italiens sans être couvert de honte et sans admettre avoir cédé sa souveraineté juridique.
L’Italie a eu, dans les années 1960-1970, une politique étrangère autonome par rapport aux USA et au bloc occidental. En reste-t-il des traces actuellement où votre pays s’est-il totalement aligné sur l’axe du bien ?
Il n’y a jamais eu d’autonomie italienne par rapport aux États-Unis, c’est la France qui a essayé de jouer cette carte. L’Italie, depuis la deuxième guerre, jouit d’une souveraineté nationale très limitée, non seulement dans les rapports de force internationaux mais aussi d’un point de vue juridique : notre soumission n’est pas seulement de fait, elle est officielle.
La politique italienne dans la Méditerranée fut autonome non par rapport au Pentagone mais par rapport à l’Angleterre, à la France et a Israël. Et nous avons mené une politique diplomatique et énergétique sérieuse. La guerre a été menée entre des « alliés » et les Américains se sont limité à l’observer.
Cette politique étrangère autonome a été, pour partie, héritée par le gouvernement Berlusconi, notamment grâce à la présence auprès de lui d’anciens membres de l’équipe de Craxi et grâce à l’action du géant italien de l’énergie, l’ENI. Les relations humaines entre Berlusconi et Poutine avec leur banquets en commun et les joyeuses nuitées que, dit-on, ils passaient en compagnie de filles jeunes et jolies, ont renforcées l’ouverture italienne à la Russie. Ce qui est incontestablement une bonne chose.
Entretien : Christian Bouchet.
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