vendredi 22 octobre 2010

Les oripeaux de la vieille droite

Le mouvement massif contre la réforme des retraites n’a pas qu’une vertu sociale. Il met au jour, de manière très opportune, la fissure qui existe entre deux expressions de ce que l’on convient d’appeler, dans les salles de rédaction, la « droite de la droite ».
Des réactions vives se sont en effet manifestées contre l’ampleur des protestations qui ont répondu à la position ferme du gouvernement, dont les mesures apparaissent comme les plus sévères parmi celles qui ont été adoptées en Europe. Il faut ajouter à ces décrets un plan de rigueur rampant, qui ne dit pas son nom, mais qui consiste à geler des prestations et des rémunérations par ici, à supprimer des aides par là, à déréglementer, à dérembourser, détricoter, démembrer un peu partout. Les offices internationaux de cotation, qui accordent aux Etats des notes permettant de calculer le taux d’emprunt sur le marché international, font pression pour réduire les dépenses, et assurer aux banques et fonds de pension des profits financiers conséquents.

Le climat est donc tendu, propice aux débordements. L’imaginaire se nourrit de précédents, comme les manifestations de lycéens contre le plan Villepin dit du « CPE », de la grande grève contre la loi Juppé, voire des images un peu jaunies de mai 68. La mémoire contestataire pense reconduire des gestes anciens quand les données de la crise sont en train de muter profondément.

De la même façon, la rhétorique qui accompagne cette protestation n’a guère changé. Soit on la justifie, pour ainsi dire par automatisme d’appareil, en invoquant la « justice », soit on la vilipende en s’en prenant aux « fainéants ».

Il serait intéressant d’analyser les méandres stratégiques des centrales syndicales, qui sont en gros d’accord avec le plan, mais qui n’entendent pas vider les derniers rangs d’adhérents qui leur restent. S’arc-bouter sur la question des 62 ans cache de façon habile la réalité d’une réforme qui repose surtout sur l’augmentation importante des anuitées de cotisation. Le parti socialiste l’a bien compris. Le véritable enjeu est celui des pensions, qui vont être considérablement réduites par la conjonction entre ce rallongement imposé et l’impossibilité, due à la rareté du travail et à son intermittence, de le réaliser pleinement.

Dans le même temps, on apprend qu’un tiers des Français craignent de sombrer dans la pauvreté. On comprend pourquoi une majorité d’entre eux soutiennent les opposants à la réforme des retraites. Cette dernière est révélatrice des angoisses que suscite la mondialisation de l’économie. Notre pays, et, plus largement, une grande partie des Nations européennes, semblent soudain précarisés, livrés sans bouclier à la concurrence des pays émergeants, à leurs diplômés, au dumping social, aux bas coûts des marchandises qui ruinent l’industrie et le commerce autochtones. Le problème de l’immigration est à jauger selon ce postulat : c’est le tiers-monde qui arrive chez nous, dans le même temps que les Français s’alignent sur lui.

Une certaine droite dure pense retrouver ses marques en taxant les protestataires de paresseux, de manipulés, de marxistes, et autres qualificatifs d’un autre âge. Cette droite n’a voulu ni mûrir, ni penser.

Etre de droite peut certes signifier adhérer à un projet d’ordre, d’autorité, de hiérarchie, voire de richesse, si celle-ci est acquise par le travail. De nombreux patrons, commerçants, membres de professions libérales, qui se sont fait eux-mêmes, voient d’un très mauvais œil les récalcitrants de tous genres, surtout si l’on entreprend de remettre le pays au travail.

Historiquement, une fusion a eu lieu entre les nostalgiques de l’Ancien régime et les classes possédantes qui ont profité des révolutions économiques du monde moderne. La construction des Nations, jusqu’à l’époque contemporaine, s’est effectuée sur un projet collectif d’industrialisation de masse, qui n’a pas été sans contrainte, et par un contrat passé avec les classes populaires, qui ont pu accéder à un niveau de vie acceptable. Cette société de consommation, qui est la rançon d’un type moderne de mentalité matérialiste et nihiliste, ne pouvait qu’aboutir à l’effondrement de la démographie, au dérèglement des consciences et au cynisme actuel.

Mais ce temps est fini. L’Occident s’appauvrit, se tiers-mondise, à la mesure de l’adoption mondiale de ses principes capitalistiques. L’argent n’a ni odeur, ni racines ; il détruit toutes les résistances patrimoniales qui tentent de lui échapper, toutes les traditions qui offrent un autre mode de penser, de sentir, d’aimer et de rêver, d’exister. Il faut que sa logique, celle de sa reconduction ad nauseum, soit la seule loi. Qu’importe les identités particulières ! Le peuple français n’existe plus depuis bien longtemps aux yeux de la fraction indigène de l’hyper classe internationale.

Il s’agit pour elle de gérer, sans trop de dégâts, le Nouvel ordre mondial dans ce coin de la planète. In fine, son projet est la capitalisation des retraites, leur mise en bourse. Les socialistes peuvent le faire tout aussi bien. Il faut en revanche se faire à l’idée qu’il n’y aura plus de travail décent, qu’il n’y en a plus depuis trente ans, depuis que Jacques Chirac nous annonçait qu’il voyait le bout du tunnel. La France, comme une partie de l’Europe, va devenir une réserve de Sioux pour touristes chinois.
Cette « droite de la droite », qui veut rétablir l’ordre (mais quel ordre ?), qui rêve de gouverner avec la fraction dure du néoconservatisme local, qui croit s’en tirer en invoquant de façon incantatoire les stéréotypes d’antan, est complètement invalidée par la force des choses. La situation devient, ou deviendra révolutionnaire, insurrectionnelle. Quelques bribes d’espoir flottent encore, mais de moins en moins consistantes. Le taux d’abstention active ne cesse d’augmenter, le populisme, même le plus hypocrite, est à la mode, la caste médiatico-politique est de plus en plus méprisée, haïe. Il ne fait guère de doute que la violence viendra.

Cette violence ne sera pas prise en charge par un parti. Le temps des partis est révolu. Elle sera diffuse, protéique, ubiquiste. Elle sera le fait de groupes autonomes qui prendront le risque de nouvelles relations, d’une nouvelle société. Les aspirations seront populaires, de « gauche », si l’on veut, mais le résultat sera l’émergence d’une nouvelle hiérarchie. Des épreuves surviendront, et, naturellement, de nouveaux chefs.
On ne parlera plus alors de la droite et de la gauche qu’avec le même détachement que lorsqu’on évoque les Têtes rondes et les Cavaliers de la révolution anglaise.

VOXNR

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